« Je suis hyper fatigué mais ça va »

Au démarrage d’un rendez-vous, ou d’une session de formation, je demande aux personnes comment elles vont – et je précise que je veux vraiment avoir une idée de leur niveau d’énergie, de leurs émotions, de leurs difficultés, de leurs envies. Très souvent, j’entends cette phrase qui me fascine : « je suis très fatigué, mais ça va. » Ou parmi les variantes : « je suis vraiment fatigué, mais bon, ça ne sert à rien de se plaindre… »

La fatigue est acceptée comme une sorte d’état normal, une ligne médiane autour de laquelle on évoluerait au fil de l’année. « Je suis claqué, mais c’est bientôt la fin de Parcoursup », « je vais bien, il fait beau », « je suis vidé, c’est normal avec ce froid… », « je vais mieux, mes enfants sont chez mes parents. » Et en version extrême, j’ai entendu plusieurs fois le sinistre : « je suis épuisé, mais c’est pas grave, on se reposera quand on sera morts… »

La fatigue devient presque une norme sociale. Écoutez les retrouvailles à l’apéro ou dans les dîners : « ça roule ? » « oui… c’est un peu raide en ce moment, comme d’habitude » « ah bien sûr… et ben moi c’est pas mieux ». On en arrive à cette inversion complète des valeurs : ceux qui sont en forme sont au bord de s’excuser : « je vais bien, mais bon, je rentre tout juste de vacances » !

Être constamment fatigué, ça n’est pas normal. C’est la pleine forme qui doit être la règle. Les jours de fatigue doivent être l’exception, avec des causes directement identifiables : une maladie, une grosse soirée, une compétition sportive, un ou deux jours de surrégime pour boucler un dossier (compensés par des journées de repos)…

Bien sûr, nous pouvons accuser le système : le rythme de travail, l’accumulation des projets, le manque de personnel, les licenciements… Mais ce sont de faux nez. C’est nous qui avons accepté que cet état de fatigue soit devenu la norme, enregistrée en tant que telle par notre cerveau, qui du coup ne cherche aucune option pour en sortir.