« J’ai l’impression de revenir en arrière »

Vous retournez dans le même job, ou le même genre de job. Dans la même entreprise, ou dans une entreprise très comparable. Vous retournez habiter chez vos parents. Vous retournez passer la nuit chez un(e) ex, ou vos vacances dans un endroit où vous alliez enfant. À chaque fois, vous avez cette impression lancinante – et déprimante – de « revenir en arrière ».

Pourquoi ? Parce que vous répétez la même chose à quelques années d’intervalle ? Mais notre vie est faite de répétitions ! Se laver les dents (avec la même brosse à dents, achetée au même endroit), prendre le train de banlieue à la même heure (parfois avec les mêmes personnes), aller le dimanche dans sa famille d’origine…

Nous acceptons ces répétitions du quotidien, et même nous sommes rassurés par ces habitudes. Mais nous sommes écrasés par l’impression que parfois nous tournons en rond dans nos vies, comme des promeneurs qui, après des kilomètres de marche, retombent sur la même carcasse de voiture abandonnée dans une clairière… Nous avons un besoin viscéral de l’inédit, du piquant, du changement et du grand bond en avant. De l’actu « chaude », celle qui remplit un dîner en ville et nous donne l’impression de vivre « vraiment » !

Deux remarques.

D’abord, un paysage paisible n’est pas moins beau qu’un océan déchaîné, le voyage immobile me semble aussi fascinant que celui entre deux continents. Le paysan qui laboure mes terrasses se désespère à l’idée même de descendre en ville – il préfère regarder les nuages contourner la montagne. « Les gens heureux n’ont pas d’histoire » ? Si bien sûr, ils n’ont juste pas besoin de la raconter.

Ensuite, il nous est impossible de revenir en arrière. « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait Héraclite, car ça n’est pas le même fleuve et ça n’est pas le même homme. Quand nous croyons revivre quelque chose, en fait nous le vivons différemment. À nous de voir ce qui a changé et de nous en émerveiller.