Dire non, ou la puissance des frontières
Sep 17, 2022C’est la rentrée, et certaines mauvaises habitudes sont en train de se réinstaller… Cette semaine j’ai entendu plusieurs fois la phrase maudite : « je n’arrive pas à dire non ». Avec sa variante classique : « je ne sais pas dire non ».
Il est temps de nous réconcilier avec la force du « non », moyen le plus efficace de faire respecter nos limites. Et pour cela, je vous propose de « nettoyer » trois confusions classiques.
Confusion n°1 : « je ne sais pas dire non »
« Je ne sais pas dire non », « je n’arrive pas à dire non », « je ne peuxpas dire non »… toutes ces phrases impuissantes, passives, sont factuellement fausses. En formation, quand quelqu’un me dit cela, je prends mon air le plus benêt (j’en ai plein en stock) et je demande : « ah bon ? Attends… juste pour voir… dis ‘non’ ? » La personne ne comprend pas, et dit « non ». Alors je reprends, cette fois avec un air très soulagé : « ah, ok, tu m’as fait peur ! Tu sais bien dire ‘non’ ! »
Avec cette petite blague, je veux mettre en évidence la première confusion classique concernant le « non ». Le problème n’est pas de savoir ou de pouvoir le dire. C’est de décider de le dire, d’oser le dire.
Si nous ne le faisons pas, c’est que soit nos limites ne sont pas assez claires, soit nous n’y tenons pas suffisamment.
Dans le premier cas, nous allons nous rendre compte après avoir donné notre accord que ce que nous avons accepté ne nous convient pas du tout. Mais nous nous sentons « engagés » par cet accord – comme s’il nous était interdit de changer d’avis ! « J’ai dit oui, je dois le faire »… Drôle d’idée !
Changer d’avis, ça n’est pas forcément faire un caprice – cela peut simplement signifier que nous avons pris le temps de réfléchir, davantage d’informations, du recul… et que nous avons un autre avis. « Oui mais… que vont-ils penser de moi si je reviens en arrière ? » Ça n’est pas revenir en arrière, c’est au contraire progresser, avancer dans sa réflexion. Et ce que vont penser les autres de moi devrait toujours être moins important que ce que moi je vais penser de moi-même – nous y reviendrons plus loin.
Cela étant dit, pour nous éviter toutes ces complications, le plus simple est sans doute de ne jamais dire oui tout de suite quand on nous demande de faire quelque chose… Une saine habitude serait de toujours prendre le temps de questionner (« qui, quand, où, comment, pour…quoi ? ») et ensuite de toujours prendre le temps de réfléchir avant de donner une réponse.
Nos grands-mères disaient qu’il fallait tourner 7 fois sa langue dans sa bouche. On peut sans doute prendre encore un peu plus de temps : « Maintenant que j’ai tous les éléments, je vais y réfléchir, et je te dirai dans 1h / 1 jour / 1 semaine ».
Dans le second cas, quand nous ne tenons pas suffisamment à nos limites, nous allons accepter alors que nous savons pertinemment que nous ne sommes pas « ok ». Nous connaissons nos limites, et pourtant nous sommes prêts à accepter que certains les franchissent allègrement pour prendre pied chez nous, et obtenir des choses qui nous coûtent trop.
Qui ne dit mot… consent, dit le proverbe. Nos limites, nos frontières ne sont que des symboles, et il dépend du bon vouloir des autres de les respecter… ou pas.
Nous ne pouvons vivre seuls. Abandonnez tout de suite vos rêves d’île déserte, de maison perchée dans les montagnes, ou de vie d’ermite. A plus ou moins brève échéance, vous deviendriez seulement… fous. Nous avons un besoin vital que d’autres êtres humains nous montrent que nous existons à leurs yeux. Mais justement parce que nous vivons en lien, en groupe, nous devons donner clairement aux autres nos règles de fonctionnement, et ensuite les faire respecter.
Je ne parle pas des règles qui concernent tous les membres du groupe : les lois d’un pays, le règlement d’une entreprise par exemple. Leur application dépend d’une autorité supérieure, ou d’une force de police externe. Là où les choses deviennent plus complexes, c’est quand il s’agit des règles qui me concernent. Par exemple le ton que je veux qu’on emploie avec moi, le délai minimum que je veux qu’on respecte avant de fixer un rdv dans mon agenda, ou la charge de travail maximum que je suis prêt à accepter.
Dans ce cas, c’est à moi de le dire, clairement, dans les termes les plus concrets possible, et c’est encore à moi de les faire respecter… justement en refusant les transgressions potentielles. Pour cela, j’ai deux outils fantastiques : la colère comme indicateur, et le « non + demande » comme moyen d’action.
La colère est une émotion magnifique, dont le rôle est justement de nous indiquer que quelqu’un ou quelque chose est en train de franchir nos limites. Et elle nous donne l’énergie pour nous aider à les rétablir et à les faire respecter. En deux temps : en disant non et ensuite en faisant une demande, c’est-à-dire en disant ce que nous voulons à la place. (Si vous voulez en savoir plus sur la colère, voici le lien vers le premier épisode de ma série sur cette énergie si importante…)
Confusion n°2 : les émotions de l’autre sont plus importantes que les miennes
Le principal obstacle à utiliser notre colère, c’est très souvent ce que nous imaginons que les autres vont ressentir, penser, dire et faire. « Je ne peux pas dire non – qu’est-ce qu’il va penser de moi ! » « Si je refuse, il va penser que je suis caractérielle », « je ne veux pas passer pour quelqu’un de pas professionnel »…
Mettons tout de suite de beaux points sur des « i » en or massif. Vous n’êtes pas responsable des émotions, des pensées ou des actions des autres. Vous êtes responsable de la qualité de ce que vous envoyez.
Donc si vous dites « non… et va te faire voir », vous êtes responsable de votre formulation et de votre ton agressif. Mais cela ne signifie pas que la personne en face de vous peut justifier sa propre réaction agressive par votre comportement antérieur ! Nous ne sommes plus (en tous cas officiellement depuis que nous sommes adultes…) dans une cour de récréation où l’argument ultime c’est « m’enfin m’dame, c’est lui qu’a commencé ! » Chacun est responsable de ce qui se passe dans son for intérieur et de ses comportements.
Comme je suis responsable de ce que je fais, et de ce que je dis, je vais donc dire « non » en m’accordant la même valeur qu’à autrui. Ni plus (« non, et tu me fais suer ! ») ni moins (« euh… écoute… en fait… je suis désolé… ça m’embête de te dire ça… surtout ne le prends pas mal… mais je préférerais que non… »).
Je te dis « non », parce que je t’indique mes frontières, et que je me prends au sérieux.
En résumé :
. Règle n°1 : je suis responsable de mon bien-être
. Règle n°2 : je suis ok pour contribuer à celui des autres… tant que cela ne vient pas en contradiction avec la Règle n°1
Confusion n°3 : dire non, c’est prendre le risque d’être moins aimé
Derrière « que vont-ils penser de moi » se cache souvent une inquiétude bien plus grande : « ils vont moins m’aimer » « ils ne vont plus m’aimer ». Un des signes du manque d’estime de soi, c’est de définir sa valeur par le regard des autres. Et je vais donc m’interdire tout comportement qui pourrait rabaisser leur idée de « ce que je vaux ».
. Règle n°1 : l’opinion sur moi qui doit être la plus importante à mes yeux… c’est la mienne
Je vais bien sûr tenir compte de l’opinion des autres, analyser leurs retours. Et j’en tiendrai compte… si et seulement si je juge que c’est utile pour moi, si cela correspond à ce que j’ai décidé me concernant – si ce que je m’apprête à faire ne représente pas un franchissement de mes frontières.
. Règle n°2 : il est impossible d’être aimé par tout le monde… je dois donc faire des choix
Être aimé de tous alors que tous n’ont pas les mêmes goûts, cela signifie qu’à chaque rencontre je me transforme en miroir du désir de l’autre. En affaiblissant à chaque fois l’estime que j’ai de moi-même.
Au travail comme dans ma vie personnelle, une fois que je me suis mis au centre (cf. la règle précédente), je vais dire « non », obtenir ainsi de la plupart des gens qu’ils respectent mes frontières, et augmenter progressivement mon bien-être et mon importance, à mes yeux comme aux leurs.
Ensuite, je vais aussi comprendre que certaines personnes ne me prennent pas assez au sérieux et franchissent trop régulièrement mes frontières – même une fois que j’ai utilisé ma colère pour leur signifier. Ce sera le moment de couper ces liens toxiques, et de calmer mon angoisse viscérale de me retrouver seul en me disant qu’une relation toxique supprimée c’est du temps et de l’énergie disponibles pour des relations nourrissantes, positives, respectueuses.
Dire non, ça n’est pas risquer d’être moins aimé. C’est m’offrir la possibilité de devenir mon meilleur ami, et d’être aimé par des personnes qui me respectent.
Apprenons à dire « non », à refuser ce qui ne nous convient pas, et à revendiquer positivement ce qui est important pour nous. Commençons par des situations où le « non » et la demande seront plus faciles, où l’enjeu sera moins élevé. Constatons le bien que cela fait. Et progressivement, affirmons, ancrons nos positions !
La semaine prochaine, je vous proposerai la suite de ce premier article : « Dire oui, la puissance du mouvement ». En attendant, je suis impatient de lire vos commentaires sur cet article !
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